La pédagogie de Nobuichi Urushibata

   Dans cet article, je vais aborder un peu plus en détail la manière dont le bonsai est enseigné à Taisho-en. Je vais parler des méthodes de Nobuichi Urushibata. Le maitre s’occupe uniquement des étudiants étrangers qui viennent apprendre ici pour de courts séjours.

   En ce qui concerne Taiga, sa pédagogie est proche de celle de son père, mais il semble plus rude et encore plus exigeant. On comprend cela quand on sait que le jeune artiste a suivi pendant 6 ans l’enseignement de Mashiko Kimura, un des plus grands maitres, réputé pour son enseignement très sévère. Taiga a en charge la formation des « daishi », les apprentis qui passeront minimum 4 ans à la pépinière avant de devenir professionnels.

   A Taisho-en, le programme n’est jamais donné à l’avance. Il faut rester attentif en permanence aux activités de la pépinière, et être prêt à tout moment à suspendre une tâche pour aller aider quelqu’un qui en aurait besoin. Et c’est souvent d’un simple signe de la main qu’on vous sollicite. Cela peut être pour aller déplacer un arbre, décharger un véhicule, ou apporter son aide à un travail spécifique qui a besoin d’une paire de main supplémentaire.

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   Quand Oyakatta travaille, nous devons suivre avec attention ses gestes pour pouvoir anticiper ses demandes. En effet, pour réclamer un outil, il se contentera…de tendre la main dans le vide! A vous de deviner de quoi il a besoin. Pour que l’action reste fluide, mieux vaut avoir bien suivi les opérations.

   Du coup, au bout de quelques temps, on développe la même attention au travail des autres étudiants, et il n’est pas rare qu’un outil traverse la pièce en passant de main en main, alors que la demande a à peine été énoncée. De ce fait, le travail avance vite, dans un climat de concentration et d’entraide très appréciable.

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Carlos sélectionne les aiguilles d’un grand pin blanc.

   Comme je l’ai dit dans l’article « l’apprentissage du bonsai à Taisho-en », ici, pas de cours théoriques. Chaque nouvelle tâche commence par une phase d’observation : par exemple, avant ma première séance de ligaturage, j’ai été invité à aller observer les arbres de la pépinière déjà mis en forme. Ensuite, Oyakatta a ligaturé sous mes yeux une branche d’un bonsai, et j’ai poursuivi ensuite tout seul. Régulièrement, le maitre revenait pour juger mon travail, me demandant de défaire et de recommencer une ligature mal faite, et souvent, il ligaturait de nouveau lui même pour me montrer la marche à suivre.

On pourrait résumer les différentes actions ainsi:

Observer – faire soi même – être corrigé – refaire.

   Ce processus va être sans cesse répété, jusqu’à ce que vous soyez de plus en plus autonome. Au bout d’un temps, et en fonction de l’importance des arbres, Oyakatta vous laissera travailler seul, et viendra seulement contrôler votre travail un fois celui-ci terminé. A ce moment là, si vous avez bien travaillé, vous serez gratifié d’un léger sourire, et d’un grand « Next »…. Pas le temps de s’endormir sur ses lauriers, on enchaine avec un autre arbre!

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Je pince les jeunes pousses de ce beau genévrier rigida, dont la veine vivante serpente avec élégance autour du bois mort.

   Nobuichi Urushibata a développé une très grande sensibilité en direction des plantes. D’un seul coup d’oeil, il sait estimer la quantité d’eau nécessaire lors de l’arrosage, juger de la santé d’un arbre, évaluer si un travail peut être réalisé, et surtout jusqu’où aller  pour ne pas le mettre en danger. Il a aussi cette capacité à ne jamais s’enfermer dans une idée, et à pouvoir modifier totalement un projet, si jamais il se rend compte au cours du travail, que l’option prise n’est pas la meilleure (pour des raisons esthétiques, ou pour préserver la santé du bonsai). Ainsi, l’artiste sait faire preuve d’une grande humilité face à sa création. Sa volonté ne s’impose jamais inutilement à la plante.

   Dans la journée, très peu de choses semblent être planifiées à l’avance par le maitre. C’est son instinct qui le guide en permanence. Mais cette faculté à organiser son travail, et cette connexion avec le vivant, sont le fruit de longues années d’observation, d’essais, de remise en question, et de perfectionnement de ses techniques. Le vieil  homme me fait penser à ces maitres d’arts martiaux, ou ces virtuoses dans le domaine musical,  qui ont tellement travaillé et intégré la technique de leur art, que chacun de leur geste est chargé d’énergie, et semble être réalisé avec une facilité déconcertante. Ils font corps avec leur discipline, et génèrent beaucoup d’harmonie et de beauté. Il en est de même pour Nobuichi Urushibata.

   Ce sens de l’observation et cette sensibilité, s’appliquent aussi envers les humains. Le maitre vous donne toujours un travail à réaliser en fonction de votre niveau, ou de celui à atteindre. Du coup, il est fréquent, pour un même arbre, que l’un des étudiants commence un travail, puis qu’un deuxième s’occupe de l’étape suivante. Par exemple, au début de mon premier séjour, sur les genévriers, ma tâche consistait  à  éclaircir les rameaux par la taille, pour préparer le ligaturage. Petit à petit, on m’a donné à faire également quelques ligatures de branches. A la fin du mois, il m’arrivait de n’avoir que la finition des mises en forme à réaliser (poser les fils les plus petits), alors qu’un étudiant fraichement arrivé réalisait les travaux que je faisait plutôt au début. On me confiait également plus d’ arbres à mettre en forme de A à Z.

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Un genevrier à travailler..

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…à quatre mains.

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Le résultat de notre mise en forme.

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Voici le type d’arbre qui peut servir à s’entrainer à la ligature (un pin blanc).

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Le résultat de la mise en forme.

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En général, on les travaille par paquet de dix !

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Un de plus…

   Entre ces phases d’exercices spécifiques, donnés pour vous faire progresser, le maitre vous apporte souvent un arbre différent, qui correspond étrangement au type de bonsai que vous aimez. Dans d’autres cas, il vous demande d’aller choisir vous même l’arbre à travailler. Comme une sorte de récréation  accordée après de longues heures d’un travail répétitif.

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Je n’ai eu que quelques ajustements à réaliser sur ce très beau genévrier, mais ce travail a constitué un de ces moments de « récréation » que nous offrait le maitre.

   Pour finir, voici quelques maximes importantes prononcées par Oyakatta:

« Case by case » (au cas par cas ), utilisée pour répondre à la question du type « Pourquoi fait-on cette action sur ce pin, et pas sur celui là ?   Et le maître de poursuivre : « les bonsai, c’est comme les humains, ils ont beau être de la même espèce, ils sont tous différents ».

   Donc, une seule solution : appliquer le conseil souvent répété lors des arrosages, mais valable pour tout type d’action: « learn the tree » ( apprenez l’arbre ).

   Observer sans cesse pour comprendre la nature spécifique de chaque arbre, et pouvoir adapter nos actions en réponse à ses besoins.

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